Femme

 

Je souhaite vous partager une expérience que j'ai faite ici en Inde il y a quelques semaines, avant que tout s'arrête comme en Europe. J'y suis toujours en Inde d'ailleurs, dans le sud, à Auroville, dans une communauté avec une quinzaine d'autres personnes dans 50 hectares de forêt. Plutôt un bon endroit où être confiné !

Le texte ci-dessous raconte mon expérience. Je vous envoie du soleil des tropiques et de l'air pur de la forêt. Bon courage à vous tous en ces temps difficiles,

(virtual and safe) hug to all of you!

Le 8 mars 2020, je me suis déguisé en femme à

Auroville

dans le Tamil Nadu, en Inde.. Mon amie Célia m'a prêtée sa robe, soutien gorges gonflé par des chaussettes, collier, boucles d'oreilles et fleurs dans les cheveux, et m'a maquillée avec soin. La transformation a eu lieu à Fertile dans la communauté où je vis. Nous sortons vers 19h30 pour aller manger, et d'autres restaurants étant fermés nous sommes obligés d'aller à Dinesh, un des lieux les plus indiens d'Auroville. Une vingtaine de jeunes mecs tamils sont assis là lorsque j'ai fait mon apparition. Bien que sentant leurs regards rivés sur moi, ce n'est qu'une fois assis après avoir commandé que je jette un oeil à l'assemblée. Quelques-uns me regardaient toujours avec intérêt mais la plupart prêtaient davantage attention à leurs téléphones. Plusieurs amis viennent me voir alors que je suis accoutré ainsi, ça me détend et je passe un bon moment en leur compagnie, oubliant petit à petit que je n’ai pas la même allure que d’habitude.

Après le dîner, nous allons à Dharma Swasti danser sur de la world techno music, comme il y en a souvent à Auroville. Des regards bien sûrs quand je rentre dans le lieu mais la faible lumière rend mon déguisement moins évident. A deux ou trois reprises, alors que je danse, je sens que des mecs se rapprochent de moi avec une démarche un peu séductrice. Dans la danse, j'ai une attitude différente quand je suis en femme : je suis occupé par mon propre corps, par ce qu'il dégage et ce qu'il provoque chez les autres. En homme, je suis très ouvert, j'aime bien aller voir des inconnu(e)s et danser avec eux/elles, rigoler, m'amuser. En femme, je suis plus fermée, content de danser avec Célia seulement ou bien tout seul, en faisant plus ou moins abstraction de ce qu'il y a autour. Les femmes me regardent différemment aussi, et deux d’entre elles m’ont dit que j’étais très belle !

Il est près de minuit quand je rentre à Fertile toute seule sur ma moto. Ici minuit ça fait tard, et comme à mon habitude, je m'arrête dans le champ de cocotiers juste avant d'entrer dans la forêt de Fertile : les étoiles, la pleine lune, je suis là. A ce stade de la soirée je me sens tout à fait à l'aise dans mes vêtements, et ne pense plus à l'allure que je peux avoir. Une moto arrive au loin, ce sont deux mecs locaux. Ils vont dans une autre direction que celle où je me trouve, mais au bout de quelques instants je les vois qui font demi-tour pour venir me voir. Quand je comprends qu'ils viennent vers moi je prends peur, rassemble mes affaires et me lève rapidement, ma moto se trouvant à une trentaine de mètres de là. "Everything ok?" me lancent-ils d'une voix rieuse, une fois arrivés près de moi. J'essaye de prendre la voix la plus assurée possible pour leur répondre un "everything ok" en retour, tout en me dirigeant vers ma moto. Après cet échange ils s'en vont et me disent "bye" en ricanant. Moi ça ne me faisait pas rire, j'avais le coeur qui battait la chamade, mais j'étais intérieurement prêt à me battre aussi s'il le fallait. Je monte sur ma moto et fais quelques mètres pour arriver jusqu'à l'endroit où j'étais assis pour regarder les étoiles. Je n'ai pas envie de quitter cet endroit dans la panique. Je me rassois, la peur est toujours là. Je me lève en hâte en entendant une autre moto au loin... et si c'étaient eux qui revenaient avec leurs copains ? Rien de tout ça, mais je me lève et fais quelques mouvements de Kung Fu dans le vide, inventés pour l'occasion, pour me débarrasser de cette peur et me donner du courage à travers le corps. Ca fonctionne un peu, et m'aide à atténuer la panique.

Une fois couché chez François à Fertile, j'entends des cris au loin. Impossible de savoir si c'est d'un être humain qu'ils proviennent, mais je m'imagine que c'est une femme en train de se faire violer. C'est plutôt probable que non vu la nature des cris, mais je ne peux m'empêcher de penser ça.

Après cette expérience, je souhaite dire à toutes les femmes bravo. Bravo pour la bravoure dont vous faites preuve tous les jours, tous les soirs, face aux regards et aux actes des hommes et des femmes. En une nuit vêtu en femme, même si je n'ai encore probablement rien compris à ce que c'est que d'en être une, j'ai eu un aperçu du courage qu'il faut pour pouvoir être dans la peau d’une femme, notamment dans un pays comme l'Inde, mais ailleurs aussi évidemment. Je vous demande pardon d'avoir été parfois trop insistant, d'être venu danser trop près alors que la situation me montrait que ce n'était pas bienvenue. Pas toujours évident de savoir ce qui est bienvenue ou pas quand on est homme, mais après cette expérience, je comprends qu'un geste ou un regard peut vite être perçu comme une agression du point de vue d'une femme. Vu le poids constant que sont ces regards autour de vos corps, même si l’intention n’est pas du tout agressive de la part d’un homme, ce doit être agaçant d’être constamment sollicitée, tout en étant parfois probablement flatteur. Merci à vous d'être libres malgré ce poids.

Marius